« Polis » politique

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À gauche, Ségolène du Closel, Directrice du Courant pour une écologie humaine – à droite, les trois fondateurs : Gilles Hériard Dubreuil, Tugdual Derville et Pierre-Yves Gomez.
©ECOLOGIE HUMAINE

Le grand mouvement social né en 2012 est-il entré dans une phase politique ?

Dès son origine, j’ai affirmé que notre mouvement social était plutôt – ou d’abord – « métapolitique », c’est-à-dire ambitieux bien au-delà du thème qui a réveillé notre famille de pensée, mais aussi bien au-delà des joutes partisanes conjoncturelles qui agitent encore la sphère politico-médiatique… Ce mouvement a en effet jailli des racines les plus profondes de notre pays. Il est fondé sur une anthropologie du réel qui tranche avec la vacuité de l’idéologie de la déconstruction. Pendant que la société s’effondre dans le désenchantement, notre mouvement social poursuit son développement exponentiel,  à partir d’un regard cohérent sur la personne, dans ses dimensions politiques et spirituelles. Notre mouvement s’est déjà ressemé en une créativité et une générosité prometteuses, sous la forme de multiples labels, groupes, initiatives. Peu importe qu’ils soient complémentaires ou concurrents voire partiellement antagonistes. Non ne subissons plus : nous nous engageons. Nous ne sommes plus isolés : nous nous relions. Le pouvoir ne peut enrayer cette réaction en chaîne. Certains hiérarques socialistes osent encore regretter dans les coulisses de ne pas être parvenus à « faire passer pour des fascistes » les français paisibles qu’ils ont mis dans la rue. La non-violence des Veilleurs et autres Sentinelles est le plus grand échec du pouvoir. La « victoire culturelle » du mouvement social est d’ailleurs affirmée par le politologue Gaël Brustier, proche de la gauche. Son intelligent « Mai 68 conservateur » (Cerf) tire la sonnette d’alarme dans ses premiers mots : « On ne réveille pas un géant qui dort ». J’ajouterais : surtout s’il est assoiffé de justice et de vérité.

Mais d’où vient ce géant et comment grandit-il encore ?

Il sort des sous-sols de cette société individualo-collectiviste en pleine crise d’identité et de sens, qu’on dit « liquide » ou « atomisée ». Quand l’immeuble s’écroule, les caves méprisées apparaissent au grand jour. Certains y vivaient déjà. D’autres vont s’y réfugier. Depuis des dizaines d’années, notre famille de pensée a tissé un réseau de résilience extraordinaire qui attire, irrésistiblement. Des centaines d’associations, de publications, d’évènements, d’écoles, de groupes sont nés. Sans tapage médiatique, centrés sur des objectifs concrets, humanitaires ou culturels, répondant à des valeurs partagées d’altruisme, de solidarité réelle, de service dans la cité, d’éducation. Ils sont culturellement « ancrés », donc complètement en marge du flottement de la culture officielle. Déconnectés du politique, ils sont pourtant respectés par les gouvernements successifs et leurs administrations qui se savent impuissantes devant la crise des cités, la violence urbaine, la solitude des personnes âgées etc. Nos associations se sont tenues à l’abri des systèmes de copinage politique et des projecteurs médiatiques, pendant que tant d’autres structures, parfois virtuelles, s’embourgeoisaient sous la pluie des subventions, les fêtes dispendieuses ou les coups d’éclats. Tous les Français connaissent Act up ou le Planning familial qui font encore trembler le microcosme des deux côtés de l’échiquier politique… Jamais on ne leur a parlé d’associations cent fois plus vivantes… Nous avons soudain découvert qu’il n’y avait aucune raison de nous laisser intimider par des géants de papier creux, incapables de mobiliser. Notre parole est bien plus crédible et précieuse pour les Français.

Quelle perspective politique offrez-vous ?

Il ne s’agit ni de prendre une revanche, ni de trouver le leader providentiel. Nous devons accélérer la cristallisation culturelle. En marge du totalitarisme de la culture dominante, nous n’avons qu’à poursuivre l’édification de la « polis parallèle » selon l’expression du dissident tchèque Václav Benda. Il décrivait par cette expression le travail souterrain consistant à préparer concrètement, sans attendre la chute de la dictature rouge, la société future. Ce texte de 1987, qui vient d’être édité chez Desclée de Brouwer, s’actualise parfaitement : « Abattre ou ronger petit à petit ces rideaux de fer en miniature, forcer le blocus social et celui de l’information, revenir à la vérité, à la justice, à un ordre des valeurs qui ait un sens, faire à nouveau reconnaître le caractère inaliénable de la dignité humaine et la nécessité du vivre-ensemble dans la responsabilité et l’amour mutuel ». Ce travail de reconstruction était entamé en France avant 2012. La seule différence – elle est de taille : nous ne savions pas que nous le faisions… Nous n’avions pas conscience de notre puissance collective de changement. En quelques mois, nous avons compris qu’il est possible de transformer la société, sans complexes, « à hauteur d’homme ». C’est l’objectif du Courant pour une écologie humaine d’y contribuer, au milieu d’autres initiatives. Il ne s’agit surtout pas d’entrer dans un repli communautaire ni seulement de collectionner de beaux projets isolés, mais de les relier en les faisant rayonner pour que s’opère la mutation indispensable. Les temps sont favorables : l’immense énergie politique qui bouillonne est prête  à se dépenser pour le bien commun.

 

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