Comment raison garder ?

Tugdual Derville, Délégué général d’Alliance VITA, commente la situation d’entre-deux-tours de cette campagne présidentielle inédite, et frénétique. Tugdual Derville est l’auteur du livre Le temps de l’homme-Pour une révolution de l’écologie humaine (Plon, 2016)

Comment avez-vous vécu le résultat du premier tour de l’élection présidentielle ?

Tugdual Derville : Plutôt paisiblement, au fond. D’abord, ce duel Macron – Le Pen était tout de même une hypothèse très prévisible. Ensuite chacun des autres duels possibles aurait aussi été un événement inédit. Enfin – ou surtout – la paix du cœur est d’autant plus à convoquer que les temps s’annoncent troublés, et sont déjà troublés. Ce quinquennat a divisé les Français et fracturé la société… Je pense notamment aux 36 mesures de «casse sociétale» répertoriées par Alliance VITA.
Inutile d’entretenir l’angoisse au cœur de la bataille. Mais pourquoi devrions-nous placer notre espérance dans des hommes politiques dont nous savons la parole aussi éphémère que versatile ? La campagne présidentielle a été tellement vaine ; elle a donné des pouvoirs politique, médiatique et judiciaire une image tellement déplorable qu’il est inutile d’en rajouter dans l’agitation… La paix est une décision.

Quelle est votre appréciation sur la première semaine d’entre deux tours ?

On frise encore l’hystérie, dans tous les camps. Cette passion politique qui confine à la folie – vu de l’étranger – est une tradition typiquement française. De même que cette quête du leader providentiel qui joue à plein pour les deux finalistes, comme elle avait d’ailleurs joué pour Fillon ou Mélenchon dans leurs camps respectifs, expliquant largement l’intensité de la désillusion. On raisonne moins sur des faits que sur des fantasmes, des projections, des illusions. Chacun donne à la vérité son propre visage… Une chose paraît certaine : dans tous les cas, l’avenir est incertain, ne serait-ce que sur le plan institutionnel. L’irruption d’Emmanuel Macron dans le débat me fait penser au boulangisme de la fin du XIXe siècle. Un leader charismatique, jeune et beau, émerge sans qu’on sache exactement ce qu’il veut, donnant l’impression qu’il peut faire exploser le système… ou le renouveler. Il y aura par essence des déçus en nombre, à ajouter à ceux qui le sont déjà. Pour le moment, au sein des mêmes familles, on se dispute presque comme au temps de l’affaire Dreyfus. Les anathèmes pleuvent… Les personnalités s’emballent, ouvrant des fractures qui ajoutent à la division. Si chacun pouvait réorienter toute cette énergie dilapidée en inquiétude, déploration et diatribes pour faire grandir la justice autour de lui, nous ferions un grand pas vers la vraie politique. Et je ne m’exclus pas de cette exhortation. La politique ne doit se limiter ni à l’engagement partisan, ni au débat, ni au vote. À chacun d’agir pour humaniser la société autour de lui.

« On raisonne moins sur des faits que sur des fantasmes, des projections »

Pour le vote de ce dimanche 7 mai, donnez-vous des consignes ?

Non. Ni en mon nom, ni au nom d’Alliance VITA. Je pense qu’il est essentiel d’éclairer les consciences par des faits objectifs sur les sujets spécifiques qui relèvent de notre compétence. C’est le sens de nos baromètres. Ensuite, c’est à chaque électeur de discerner le vote qui lui paraîtra le plus juste, dans le secret de l’isoloir. Pourquoi ne pas maintenir autant que possible ce secret intime, pour penser et voter en toute liberté de conscience ?
Encourageant chacun à voter, je m’abstiens de dire pour qui je vote : car mon discernement n’est pas infaillible. La vérité ne m’appartient pas. Rien ne peut dispenser chacun de sa propre réflexion.
Voter, même à contrecœur, reste une responsabilité personnelle.

 Et le vote blanc ?

C’est une option. Elle s’apparente à une forme d’objection de conscience, tout en n’ayant pas de véritable portée politique aujourd’hui.

A lire le baromètre de VITA, il n’y a pas photo entre les deux finalistes…

Sur les sujets de VITA, nous avons conçu cette série de baromètres, dès les primaires des grands partis. Leurs dix points sont essentiels, car il n’y a pas de politique digne de ce nom sans conception ajustée de l’homme. Nous actualisons ces tableaux à partir des informations de plus en plus riches sur le passé des candidats, leurs programmes et leurs déclarations. A l’heure où nous sommes, il nous paraît objectif de constater qu’Emmanuel Macron propose, sur plusieurs points majeurs, d’aggraver ce que nous avons appelé la « casse sociétale » du quinquennat Hollande. Je pense surtout à son projet d’ouvrir la PMA aux femmes célibataires ou homosexuelles. Son intervention auprès des collégiens leur demandant si certains « ont deux papas ou deux mamans », assortie d’une instruction civique particulièrement intrusive, confirme son état d’esprit. Sur ce sujet, Marine Le Pen affirme vouloir rétablir l’intégrité du mariage et de la filiation.
Dont acte. Mais nous prenons soin de préciser que ces critères, pour importants qu’ils soient (on dit parfois de certains qu’ils sont « non négociables »), ne sont pas exclusifs. À chacun de les relier aux autres points qui lui semblent essentiels avant de faire son choix. Je précise que, sur le sujet de l’avortement, aucun des onze candidats n’a exprimé une position générale acceptable à nos yeux. Or, il faudrait relever ce défi douloureux, par une politique tranchant vraiment avec celle qu’a encore aggravée François Hollande à quatorze reprises…

 Que répondez-vous à ceux qui estiment qu’avec Marine Le Pen adviendrait une guerre civile ?

On agite des deux côtés la peur du chaos. Justement, je pense souvent à cette « paix factice » dans laquelle nous croyons vivre en France quand nous oublions les atteintes à la vie. Je ne veux jeter la pierre à personne, parce que j’aime, comme chacun, vaquer paisiblement à mes occupations parfois futiles. Mais je me souviens de mère Teresa qui nous alertait à propos de nos pays qu’elle disait « plus pauvres encore que l’Inde » en constatant la banalisation des atteintes à la vie dont parlait aussi son « ami » Jean- Paul II à chacune de ses visites dans cette France qu’il aimait tant ! Je pense aussi à Emmanuel Mounier qui se disait plus choqué par l’injustice que par le désordre, ou à René Girard évoquant ces boucs émissaires que toute société aime désigner et éliminer dans l’inconscience générale.
Avons-nous conscience, pour citer un seul exemple, de l’ampleur de l’eugénisme « démocratique » qui blesse déjà notre société ? Quelle est cette paix que nous voulons préserver si nous fermons les yeux sur ces « étrangers » rejetés par centaines de milliers aux frontières de la vie que sont ces fœtus trisomiques, et autres êtres humains jugés non conformes, indésirables ? Le migrant aussi est très vite traité en bouc émissaire… C’est ce que dit à sa façon le pape François dans Laudato si’ : la personne âgée, la personne handicapée, l’étranger, celui qui vit dans la misère ou sans domicile, et aussi l’embryon humain livré aux laboratoires, tous sont des pauvres à considérer et protéger. Un tel constat douloureux renvoie sans doute dos à dos les deux finalistes et leurs challengers du premier tour de cette élection présidentielle. Mais il interroge aussi chacun d’entre nous sur les critères qui définissent à nos yeux la paix. Nous la confondons trop vite avec la tranquillité et l’anesthésie de nos consciences, voire la protection de nos biens matériels. Or la paix découle de la justice, qui elle-même émerge de la vérité, à oser regarder en face. Ainsi, même notre légitime souci de sécurité face à la menace terroriste devrait nous éveiller à l’insécurité subie par d’autres êtres humains, dont l’humanité est occultée…

Avec un tel constat, que prévoyez-vous de faire ?

Agir ! Le quinquennat 2017-2022 sera d’autant plus « ouvert » qu’il s’annonce incertain. Les législatives revêtent une importance majeure. Nos équipes vont à la rencontre des candidats. Inlassablement, nous montrons, preuves à l’appui, à quel point une politique de la vie, fondée sur des repères anthropologiques solides, est indispensable… et possible, car attendue par de nombreux Français. Quant à la menace du transhumanisme, elle est au centre de nos préoccupations. C’est l’occasion d’engager avec nous les générations nouvelles, celles qui sont tombées amoureuses du bien commun depuis cinq ans « grâce » à François Hollande. Sans rêver d’un retournement politique immédiat, c’est le travail et les initiatives de ceux qui ont à cœur à la fois la vie, la famille et la solidarité avec les plus fragiles qui peuvent changer la donne à long terme.
Aucune raison de se décourager : la vertu de patience est une urgence. Au désert, si nous voulons survivre, il faut marcher vers le bien.

 

Propos recueillis par Frédéric Aimard

Retrouvez le site du livre : Le temps de l’homme-Pour une révolution de l’écologie humaine (Plon, 2016)

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