Nous faisons face à un nouveau totalitarisme

20141002 © Politique Magazine

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Propos recueillis pour Politique Magazine par Grégoire Arnould, le 02 octobre 2014.

Délégué général d’Alliance VITA, promoteur du Courant pour une écologie humaine et figure de la Manif pour tous, Tugdual Derville est spécialiste des questions éthiques. Pour lui, la France a toujours été un rempart contre la marchandisation et la chosification du corps et c’est dans cette tradition que la classe politique doit s’inscrire pour lutter contre la tentation transhumaniste…

Avez-vous vécu la nomination de Najat Vallaud-Belkacem, à la tête du ministère de l’éducation nationale, comme un affront?

Najat Vallaud-Belkacem s’est montrée, dès le début de notre mouvement social, particulièrement idéologique. Une vidéo a circulé, à l’époque, dans laquelle on la voit demander à de très jeunes élèves de « changer la mentalité de leurs parents » en faveur de la loi Taubira ! Avant d’être ministre, elle était d’ailleurs, au PS, chef de file du courant favorable à la GPA. C’est donc une personnalité aux antipodes de notre mouvement social. Sa nomination, dans un ministère d’importance, n’a rien fait pour nous rassurer.

C’est comme si François Hollande était toujours sourd et aveugle…

Nous avons le sentiment que le président est sidéré par notre puissance, mais c’est lui qui contribue, par son entêtement, à notre résilience et à notre ténacité. La loi Taubira lui sert-elle de marqueur de gauche, sorte de faire-valoir destiné à camoufler sa faillite politique et économique pour détourner l’attention ? C’est à se demander si le pouvoir ne nous a pas choisis comme boucs-émissaires, mais ce jeu est risqué.

Quel bilan tirer de ces deux années de mobilisations ?

A court terme, notre mouvement a déjà connu une fécondité qui dépasse les notions de « victoire » ou de « défaite ». Je suis prudent avec l’usage de ces mots. Certes, la loi a été votée – et on peut s’en désoler. Certes, elle n’a pas validé, comme le voulaient ses promoteurs, la PMA et la GPA homosexuelles, mais les tribunaux français et européens s’emploient à le faire. Nous avons, tout de même, fait reculer le pouvoir sur la loi famille. C’est à long terme que s’est ouverte la grande promesse. Une chape de plomb a été levée permettant une libération de la parole et, surtout, des consciences. C’est le plus important ! Nous entamons aujourd’hui un tournant culturel : des générations nouvelles s’investissent au service du Bien commun dans un mouvement de « désembourgeoisement ». Beaucoup s’engagent dans des initiatives foisonnantes (Veilleurs, Sentinelles, écologie Humaine, Sens commun etc…), en y travaillant jour et nuit. Des jeunes choisissent des métiers en adéquation avec leurs idées, quitte à renoncer à des carrières plus rémunératrices. Cette minorité agissante (qui s’est réunie en grandes foules) a les clés de l’avenir. L’Histoire nous enseigne que ce sont toujours ces « minorités conscientisées » qui font évoluer la culture et avancer la société, alors que les masses restent versatiles, inféodées aux modes.

La manifestation du 5 octobre est celle de la confirmation de la pérennité du mouvement ?

Il s’agit avant tout d’une manifestation indispensable contre deux injustices criantes : la GPA et la PMA homosexuelle. Le gouvernement n’a toujours pas fait appel de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme [à l’heure où nous écrivons ces lignes] d’obliger la France à inscrire à l’état civil les enfants nés d’une GPA à l’étranger. Et la cour de Cassation a validé l’adoption d’un enfant conçu par PMA à l’étranger par « l’épouse » de sa mère. Le pouvoir joue donc le fait accompli, avec, à la clé, des enfants victimes. Pourquoi ? Ils sont amputés par ces procédés artificiels de la moitié de leur patrimoine généalogique. Alliance Vita demande donc à la France, qui se dit pays des droits de l’homme, de ne pas importer ces transgressions et de les désigner comme des maltraitances. L’émergence d’un marché mondial de la procréation fait de l’être humain une simple marchandise. Car ces enfants naissent « sous conditions ». C’est-à-dire sur des critères de performances. On l’a vu avec l’affaire de cette femme qui a refusé d’élever l’enfant, qu’elle avait acheté (sic), en invoquant sa trisomie. Il est temps pour l’humanité de protéger le sanctuaire de son identité, comme l’a reconnu Jacques Attali en évoquant l’utérus artificiel et le dessein des apprentis sorciers du transhumanisme. Ils entendent fabriquer un homme « augmenté ». Nous faisons face, clairement, à ce nouveau totalitarisme.

Un totalitarisme qui semble compter, parmi ses alliés, des institutions supranationales, comme la Cour européenne des droits de l’homme…

Il ne s’agit pas de rejeter cette institution, et cette Cour prend d’ailleurs des décisions contrastées. Ce qu’il y a de pervers dans les arguments de la Cour européenne des droits de l’homme, c’est qu’elle prétend agir au nom du droit supérieur de l’enfant. Bien sûr, aucun enfant ne doit être pénalisé. Mais nous leur devons de reconnaître que certains modes de conception constituent des injustices et portent atteinte à leur dignité. Pourquoi la CEDH ne pointe-t-elle pas la maltraitance que constitue la GPA pour l’enfant et la mère-porteuse ?

Pour vous, la droite parlementaire, réputée conservatrice, joue-t-elle suffisamment son rôle d’opposant à ces projets de lois ?

Notre mouvement social a été vu avec sidération des deux côtés de l’échiquier politique. Pour le gouvernement, comme évoqué plus haut, mais aussi pour l’opposition parlementaire. Si certains de ses députés ont bataillé courageusement, d’autres ont hésité. Sans doute quelques-uns ont-ils rejoints nos cortèges selon leur intérêt politique. C’est le jeu, mais nous sommes restés prudents face à toute récupération politique du mouvement. Il y a des politiques habitués au louvoiement qui changent vite de position… J’espère que les convictions dont nos manifestations ont témoigné sereinement, auront permis à certains de se constituer un fonds argumentaire, qui était jusqu’alors un peu pauvre sur les questions éthiques. Si des élus négligent le rôle de la famille, fondement de la subsidiarité, on imagine mal leur manière de gouverner dans les sphères plus hautes. La nation française n’est qu’une famille de familles. C’est d’ailleurs la famille qui explique la nation et non l’inverse.

Quelle devrait être leur priorité ?

La gestation et l’enfantement sont les mots clés autour desquels nous devons bâtir une anthropologie du réel. Une idéologie, le gender, prône l’indifférenciation homme-femme. Or, tout être humain a commencé par séjourner dans le corps d’une femme. Et si c’était là l’un des plus précieux repères de l’humanité ? De même, l’altérité sexuelle reste le fondement incontestable de cette parité dont on nous rebat les oreilles. La question qui se pose désormais aux politiques concerne l’identité des hommes : quelle humanité allons-nous léguer aux générations futures ? Je vois une priorité politique majeure : sanctuariser l’écosystème indispensable à tout l’être humain, c’est à dire la gestation. C’est le seul moyen de contrer l’idéologie transhumaniste qui prétend affranchir l’homme des toutes ses bio-limites. C’est un vrai sujet d’écologie humaine propre à transcender les vieux clivages partisans.

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