« C’est un choix de société majeur » – Vincent Lambert, Cnews, 20 mai 2019

Tugdual Derville était l’invité de Cnews le 20 mai 2019 pour évoquer l’arrêt d’hydratation et d’alimentation de Vincent Lambert mis en œuvre par le CHU de Reims.

 

Émission à retrouver ici et .

« Quand ceux qui revendiquent l’euthanasie veulent faire rentrer l’euthanasie dans un pays, ils soumettent cela à une maladie grave, à une fin de vie, à une demande expresse de la personne. Aucun de ces trois critères n’est réuni. Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, enfin il est en train de le devenir… Vous savez qu’on a déjà interrompu son alimentation avec très peu d’hydratation pendant 31 jours, en 2013, et Vincent Lambert a résisté à cela. »

« Ses parents demandent qu’il soit dans un centre non pas essentiellement de soins palliatifs, où les personnes vont car elles sont en fin de vie, mais dans un centre spécialisé pour les états comme le sien, les états dits neuro-végétatif ou pauci-relationnel, où la personne n’est pas dans le coma : elle se réveille, elle s’endort, elle a des expressions indéfinissables -vous avez peut-être vu des vidéos où Vincent Lambert suit du regard des choses. Il ne peut pas [s’] exprimer, mais on peut lui exprimer de la tendresse, et il a des émotions. À partir du moment où on le sédate, on coupe toute cette relation, et derrière les propos très forts de Mme Lambert j’entends quand même la détresse d’une mère qui demande qu’on prenne soin de son enfant. »

« C’est vrai que ces situations sont terriblement difficiles à vivre pour les familles des deux côtés ; le conflit familial est né justement d’un arrêt de cette alimentation, qui a été fait sans prévenir les parents ; ils s’en sont rendus compte eux-mêmes au bout de 20 jours ! On peut comprendre leur colère ! Ce que je vois derrière, vous parliez du mot euthanasie, c’est l’inquiétude de la famille, des proches, des soignants de quelques autres 1700 patients dans un établissement spécialisé, parfois à domicile, qui se disent : qu’est-ce que la société nous dit ? Est-ce qu’une personne dans un état de lourde dépendance, avec un si lourd handicap, ça veut dire qu’il faut faire en sorte qu’elle meure ? C’est l’arrêt non pas d’une machine – Vincent Lambert n’est branché à aucune machine – mais d’une gastrostomie, qui est une intervention chirurgicale légère au départ (on met une poche qu’on remplit pour que la personne soit nourrie) Cette gastrostomie est-elle disproportionnée, alors que c’est ce qui permet juste à Vincent de vivre ? »

« Qu’est-ce qui risque de se passer, au-delà des conséquences de la sédation sur le plan médical,[c’est qu’en baissant l’hydratation (ce qui a été annoncé), on fasse dysfonctionner les reins et s’arrêter le cœur. C’est donc une mort programmée. On peut comprendre la détresse des familles qui disent « prenez soin de notre enfant », dans un établissement adapté à sa situation, pas dans un lieu où les gens sont là en général pour finir leur vie. »

« J’aimerais que le président de la République, dont on sait qu’il a un attachement pour les personnes porteuses de handicap, et Sophie Cluzel, ministre, qui est mère elle-même d’une personne handicapée, rassurent les personnes concernées par ces graves dépendances. Il y a un enjeu de société : je pense que la France a choisi l’humanité vis à vis des personnes porteuses de handicap, avec des institutions très spécialisées. Il y a aussi une circulaire en 2002, qui prévoit que dans ces situations la personne puisse avoir de la kinésithérapie, de l’ergothérapie, de l’orthophonie, de la mise au fauteuil, des sorties… Depuis six ans, Vincent n’a plus rien de tout ça. Il est enfermé dans sa chambre pour des raisons de sécurité, liées au conflit que vous connaissez.

Nous reprenons des paroles d’autorités très médiatiques, qui se sont prononcées, comme Marie de Hennezel qui a fait entrer la culture palliative en France, et qui dit qu’il n’y a pas de psychologues qui aient été interrogés sur cette situation ; il y a l’association de familles des grands traumatisés crâniens [l’UNAFTC], qui représente 1500 patients et leurs familles, qui a dit leur inquiétude ; des médecins, comme je l’ai entendu hier à Reims… Le professeur Xavier Ducrocq, neurologue, qui a pu rencontrer Vincent et qui dit qu’il est en situation pauci-relationnelle, c’est- à dire qu’il exprime des choses qu’on n’arrive pas à interpréter. Tous ceux-là plaident pour une sorte de « grâce » pour Vincent Lambert, surtout si les aidants de première ligne que sont ses parents sont prêts à l’accueillir, à continuer de l’accompagner. Ce qu’on impose à cette femme, je trouve cela vraiment inhumain, de se dire que contre son avis (on l’a fait d’ailleurs dans son dos il y a cinq ans maintenant), on met fin à la vie d’un fils dont elle considère la dignité. C’est un choix de société majeur. »

« On a besoin que nos autorités publiques soient aussi des autorités morales, au sens où la façon dont nous traitons les plus fragiles manifeste aussi la façon dont nous nous voyons nous-même. Est-ce que nous nous voyons dans notre toute-puissance, dans notre bonne santé, ou bien est-ce que nous nous considérons comme dignes même fragiles ? Il y a là un enjeu de société majeur, qui n’est pas réservé aux religions, mais à chacun. Derrière la figure de Vincent Lambert, qui malgré lui est devenu emblématique, il y a la question de la vulnérabilité. »

« Ce qui est encore plus complexe, vous évoquez les directives anticipées : à Alliance VITA nous les encourageons, nous en diffusons car c’est très difficile à rédiger comme ça, ab abstracto, sans savoir ce que l’on a. Mais bien souvent, et j’en ai été témoin, des personnes qui comme chacun d’entre nous ne veulent pas se retrouver dans ces situations, lorsqu’elles se retrouvent dans des situations de dépendance, n’ont plus exactement le même avis par rapport à ce qu’elles avaient [dit] avant. C’est très important de renouveler sans cesse l’écoute de la personne qui peut tout à fait trouver des raisons de vivre mystérieuses. [Dans les cas où la personne ne peut pas s’exprimer comme ici,] pour moi c’est l’aidant de proximité qui veut le protéger qu’il faut écouter. Il y a une prime pour celui qui demande sa protection, car il est prêt à s’impliquer auprès de lui.« 

« Le mystère du sens de ces vies, c’est peut-être justement qu’une mère continue d’aimer son enfant et de prendre soin de lui. C’est ce mystère qu’il faut respecter pour que ces personnes, très emblématiques, disent où est la priorité d’une société comme la nôtre, la protection des plus vulnérables, de ceux qui sont exclus. »

« On a envie de faire le parallèle avec le droit de grâce, mais Vincent Lambert étant innocent il ne s’agit pas de ça directement ; toutefois j’ai entendu qu’il était dit « laisser partir », mais c’est bien « faire partir » ! Cette alimentation, ce n’est pas forcément non plus « maintenir en vie », c’est prendre soin. Il y a bien sûr un clivage entre deux positions par rapport à cette alimentation, sachant qu’il n’y a pas de machine, il y a juste d’une gastrostomie. Il respire spontanément, il a des phases d’éveil et d’endormissement, sa mère exprime que quand il veut exprimer quelque chose il ferme plus fortement les yeux… Il y a une ambigüité très forte et de ce fait un grand malaise, nous aimerions que les personnes au gouvernement en charge des personnes porteuses de très lourd handicap, Sophie Cluzel et bien sûr le président en tant que tel, disent quelque chose pour rassurer sur cette interprétation de la loi Léonetti qui nous semble excessive.  

Autant il est très légitime, et nous nous battons pour cela, qu’on évite l’acharnement thérapeutique ou plus précisément les traitements disproportionnés ou inutiles ; autant [nous récusons] le passage à l’acte de décider de tuer quelqu’un. Là on est dans une grande ambiguïté sur ce sujet. Vincent n’est pas en fin de vie, mais on l’a mis aujourd’hui en fin de vie, pour dérégler des organes qui fonctionnaient correctement, pour aboutir à sa mort sans prononcer le mot « euthanasie », c’est quand-même très ambigu.« 

« Je rappelle qu’il y a eu un appel de quarante médecins, ces jours-ci, spécialisés dans les états EVC-EPR, qui se sont prononcés pour qu’on prenne soin de lui ; il y a un neurologue, le professeur Xavier Ducrocq, qui a rencontré Vincent Lambert et qui a exprimé qu’il était dans un état pauci-relationnel. Il n’y a pas du tout unanimité du corps médical. »

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