L’État, l’amour et la haine (06 décembre 2019)

Des croix gammées taguées sur 107 tombes du cimetière juif de Westhoffen, en Alsace, ont suscité l’effroi mardi dernier, au-delà de la communauté ou religion ciblée. Le président de la République a réagi par des mots bannissant tout antisémitisme et confirmant l’inclusion de ses victimes dans la communauté nationale : « L’antisémitisme est un crime et nous le combattrons […] jusqu’à ce que nos morts puissent dormir en paix. Les Juifs sont et font la France. » Les auteurs de ces exactions sont inconnus à ce jour.

Au moins, le douloureux scandale qu’ils provoquent confirme, en creux, la sacralité de toute vie humaine.

Dans son essai remarqué Situation de la France, publié dans le contexte des attentats de janvier 2015, Pierre Manent contestait qu’un surcroît de laïcisme puisse répondre au défi posé par la coexistence croissante des religions : « En entrant dans la communauté nationale, affirmait-il, l’islam est entré dans une nation de marque chrétienne, où les Juifs jouent un rôle éminent. »

Dans ce contexte, il faut, bien sûr, réprimer, toute forme de provocation à la violence, en général, et à l’antisémitisme en particulier, dont notre histoire nous apprend qu’il exprime pour ainsi dire une forme de haine inégalable.

Mais comment faire ? Les termes avec lesquels le ministre de l’Intérieur annonce le renforcement de la lutte contre ces actes me semblent maladroits.

Christophe Castaner a affirmé : « J’ai décidé ce matin […] de créer un Office national de lutte contre la haine ». Cet office sera compétent, précise-t-il, « en zone gendarmerie pour l’ensemble des enquêtes sur les actes antisémites, antimusulmans, antichrétiens ». L’intention est louable et je ne critique pas la réorganisation de cette lutte, mais sa terminologie, car les mots ont leur importance : la haine est un sentiment ; un sentiment mauvais, perfide et dangereux. Mais qui reste un état intérieur. La création gouvernementale d’un Office de lutte contre la haine pose la question de sa définition.

Appartient-il à l’Etat de réguler un sentiment ? Et comment ne pas penser au ministère de l’Amour où, dans son roman 1984, Georges Orwell situe le terrible interrogatoire subi par son héros ?

L’Etat qui veut faire l’ange peut vite faire la bête. Quand je vois la tournure que prend le débat bioéthique, avec l’instrumentalisation constante du mot amour, détourné aux dépens de la justice et au détriment, selon moi, des enfants, et leurs défenseurs injustement taxés de haineux, j’ai une raison de plus de craindre une République singeant la religion.

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