Conversation sur la mort (Radio Notre-Dame, 25 avril 2019)


Tugdual Derville était l’invité de Christian de Cacqueray, fondateur du Service Catholique des Funérailles, sur Radio Notre-Dame, le 25 avril 2019, dans l’émission « Conversation sur la mort ».

Verbatim de l’émission :

Lors de la campagne Parlons la Mort, on a demandé aux volontaires d’Alliance VITA d’interroger les passants sur ce que la mort d’un proche leur avait appris de la vie. Sont nées des conversations magnifiques, essentielles, très fraternelles. On s’est rendu compte que discuter de la mort de nos proches nous met sur un pied d’égalité, ça fait entrer dans la fraternité universelle. Les personnes étaient contentes d’avoir parlé de ces sujets dont elles n’avaient parfois jamais parlé. (…) C’était consolateur de se dire « Levons ce tabou ».

« N’attendons pas les derniers moments pour nous dire que nous nous aimons » disait une personne ; une autre disait que la mort d’un proche avait resserré les liens familiaux, et une autre que cela les avait au contraire distendus. Il n’y a pas d’angélisme. Nos volontaires – c’est ce qui m’a le plus frappé – sont revenus avec de la lumière dans les yeux. Ils avaient pu échanger en profondeur avec des inconnus sur un sujet qui les rendait frères et sœurs.

Lors de la campagne Anticipons avant de mourir, nos bénévoles ont demandé aux gens dans la rue ce qu’ils aimeraient faire avant de mourir. Avec la lecture de Viktor Frankl, on sait que la conscience de la mort nous donne des forces de vie, nous appelle à donner un sens à notre vie. Si je sais que je vais mourir demain, j’aurai peut-être envie de (…) demander pardon à certaines personnes, de poser des gestes que je n’ai pas encore posés et qui accompliraient davantage ma vie. Cette question nous met devant le sens de la vie dans ce qu’elle a de plus beau, de plus essentiel, et cela nous appelle à devenir meilleurs.

Je mets ça en parallèle avec le sentiment qui m’étreint lorsque je sors d’obsèques ; cela me donne envie d’être meilleur. (…) On a dit du bien du défunt, on a récapitulé l’amour que l’on avait pour elle, on regrette parfois de ne pas en avoir fait plus (…). On se dit « qu’est-ce que j’emporte de cette personne pour le transmettre à mon tour ? »
Quand je pense à côté de ma tombe – qui n’est pas encore tout à fait prête, mais je sais où elle est – je ne suis pas pressé car j’aime beaucoup la vie, mais ça me titille pour mettre les priorités là où elles valent le coup d’être mises.

La mort est le lieu d’une fraternité universelle, car ce qui est certain c’est que nous allons tous mourir, malgré les fantasmes d’immortalité que prônent certains. Cette mort dans la nudité, la solitude, le dénuement, le mystère, le scandale,… est notre lot commun. « La mortalité est le cachet de l’humanité » disait Hannah Arendt ; elle nous met tous, riches ou pauvres, ceux dont la vie est brève ou longue, sur un pied de totale égalité. Cela me donne envie d’aimer mes semblables, les mortels. En discutant entre mortels, on discute entre frères.

À l’âge que j’ai, c’est vrai j’ai un peu la nostalgie de la visibilité des rites funéraires et du deuil. Dans ma ville de Toulon, quand j’étais jeune, ça s’étalait en draperies qui pendaient aux portes des immeubles pendant un temps, avec des fleurs qu’on voyait sur des véhicules qui étaient bien noirs et argentés…. Aujourd’hui tout cela est banalisé, et je pense que l’escamotage de ces rites, ou leur médicalisation outrancière pour les faire passer plus vite, comme on avalerait un médicament, nuit aux forces de vie de notre société.

Plus on en parle, plus on porte en nous ces expériences de deuil qu’on a tous – même si on s’est parfois trop éloignés des corps de nos chers disparus – plus on aura le souci de préserver et de protéger la vie. Il y a un lien étroit entre l’escamotage de la mort et des rites et deuil et la tentation de passer à l’acte, pour finalement effacer très très vite cette réalité, douloureuse et mystérieuse à la fois, qu’est notre condition mortelle.

La tentation euthanasique est naturelle, et j’allais presque dire belle : quand je suis en grande souffrance, en grande douleur, en grande difficulté, aspirer à la mort fait partie du combat intérieur ; c’est parce que ce combat est comme naturel en nous (que ce soit pour certains après une peine de cœur, à l’annonce d’une grave maladie…) que surtout on ne prend pas au mot, et que l’interdit de tuer permet à toutes ces ambivalences de s’exprimer. C’est très important (je le vois avec notre service d’écoute SOS fin de vie) de pouvoir tout entendre, et accueillir sans culpabiliser toutes ces pulsions multiples et contradictoires qui nous animent dans les moments d’épreuve.

C’est vrai que la France n’a pas légalisé l’euthanasie contrairement à quelques uns de ses voisins, très peu au monde finalement, qui l’ont fait depuis pas mal de temps, au point que l’on voit les conséquences nocives pour ces cultures qui basculent très vite du droit – prétendument – à mourir dans ce qu’ils disent être la dignité, à un devoir de partir, de libérer l’espace, les finances publiques, la famille… C’est un basculement culturel. C’est une très bonne nouvelle que la France ait jusqu »alors résisté, ainsi que le Portugal récemment qui a rejeté l’euthanasie pour promouvoir davantage  les soins palliatifs.
Ceux qui font, idéologiquement, de l’euthanasie l’ultime liberté ont désormais conscience qu’il y a une résistance très forte qui s’est établie. C’est un choix de société entre l’accueil de la fragilité, de la vulnérabilité, des personnes devenues vulnérables ou le risque d’une société aseptisée qui les pousse vers la sortie.

Il ne faut surtout pas entrer dans le piège de l’inéluctabilité ; ce n’est pas anodin qu’après toutes les affaires médiatisées que j’ai étudiées en France, il y ait encore une sagesse pour dire que cet interdit de passer à l’acte demeure.
Nous avons toujours le risque d’euthanasies qui sont cachées, voilées, dissimulées, sous certaines pratiques qui ne sont pas prévues explicitement par la loi, mais parfois la loi est détournée. La vigilance n’est pas seulement sur le mot « euthanasie », mais sur la culture et sur la pratique de l’euthanasie, qui nous tentent tous à un moment ou à un autre si on se laisse détourner, [ si on cesse d’avoir le ] cœur tourné vers les plus fragiles.

À Alliance VITA, nous avons été assez réticents [ et prudents ] face à la promotion de directives anticipées qui donnaient l’impression qu’on allait tout régler, régler le problème de la mort avec une sorte de slogan « faites vos directives anticipées » (d’autant plus qu’elles étaient prévues au départ comme opposables, comme si le patient allait devenir le prescripteur de traitements dont le médecin est seul responsable. C’est quand même lui qui fait des études spécifiques pour savoir ce qui est juste et bon pour la santé de la personne !) Finalement elles ne sont pas opposables mais simplement contraignantes, et le médecin n’est pas tenu de transgresser l’éthique et l’art de la médecine au profit des demandes du patient.
Étant donné que ces directives sont utilisées par certains mouvements comme des testaments pré-euthanasiques, nous avons estimé qu’il était de notre devoir de les présenter dans tout ce qu’elles ont de positif : désignation d’une personne de confiance, possibilité pour la personne de les réviser, questions qui ne sont pas prévues au départ, telles que : quelle personne j’ai envie de revoir, où est-ce que j’ai envie de mourir, de quoi ai-je envie pour les dons d’organes, quelles sont mes convictions spirituelles…
Il ne s’agit pas forcément de regarder la mort en face, mais d’essayer d’anticiper autant que faire se peut, sans jamais « protocoliser » la mort. La mort est tellement complexe, qu’il ne faut pas la simplifier derrière des protocoles, mais au jour le jour pouvoir accompagner les personnes.

Nous encourageons à promouvoir les directives anticipées, nous avons édité un livret très pédagogique, qui permet aux personnes, si elles sont en bonne santé, de signer une charte qui récuse à la fois acharnement thérapeutique et euthanasie, et puis si elles ont des problèmes de santé graves qui commencent à se développer, d’être plus précis dans les souhaits ou les refus de traitements. C’est une façon pour nous de promouvoir une confiance sans cesse renouvelée entre soignants et soignés, protégée par l’interdit de tuer et le devoir de prendre soin.

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