« Il faut privilégier les proches protecteurs pour s’en sortir par le haut », Vincent Lambert, Europe 1

Tugdual Derville était le 21 mai 2019 l’invité de Christophe Hondelatte, dans l’émission Hondelatte raconte, sur Europe 1, pour commenter le livre de Viviane Lambert « Pour la vie de mon fils »(Plon).

 

Il y a un mystère derrière nos existences, et spécifiquement derrière celle de ces personnes cérébrolésées. Vincent Lambert a basculé dans des états différents, pauci-relationnel avec une capacité d’expression mais sans qu’on puisse comprendre ce qu’il dit, ou neuro- végétatif où il ne peut pas s’exprimer, mais ça ne veut pas dire qu’il n’a pas une conscience d’exister, qu’il ne se passe pas des choses. Les médecins sont incapables de dire ce qu’il ressent, simplement il n’a pas la capacité de s’exprimer.

C’est une personne très fragile ; il est très gravement handicapé et dépendant. L’enjeu c’est [la prise en charge], pour lui et les quelques 1700 personnes qui sont dépendantes comme lui, et qui sont normalement en France soignées dans des établissements spécialisés EVC-EPR. Des praticiens disent qu’ils ont des places pour Vincent, alors qu’il reste dans son lit, que depuis 6 ans il n’a plus de soins de kiné, d’orthophonie, de mise au fauteuil, plus de sorties, qu’il est enfermé à clef… Il ne faut donc pas s’étonner, et sa mère le dit, qu’il ait pu régresser. Mais quand à savoir ce qu’il pense, absolument personne ne peut le dire.
Certains prétendent qu’il n’a pas d’activité cérébrale, c’est archi-faux ! Le professeur Xavier Ducrocq, qui a examiné Vincent, dit qu’on ne peut pas prétendre qu’il n’a pas d’activité cérébrale.

En sortie de coma, très fréquemment, la personne qui est la plus à même de percevoir des choses, c’est la mère. Dans l’affaire Vincent Humbert, c’était Marie Humbert qui avait perçu des choses que les soignants ne percevaient pas. D’un côté, vive la médecine et vive la science, il faut objectiver les choses ; mais d’un autre côté, lorsque ce sont des « étrangers » qui examinent une personne, elle ne réagit pas forcément comme elle réagit avec sa mère.
La sortie de coma ressemble à un enfantement ; on retrouve des sensations de fusion, la personne est comme un tout petit enfant qui retrouve des sensations, un peu comme un petit bébé, avec des relations très particulières. Les parents, et en particulier les mères du fait de leur histoire personnelle et charnelle avec leur enfant, perçoivent des choses. On ne peut l’interdire à Madame Lambert.

Ça a été montré, et il a fallu le prouver à un certain moment en montrant son visage ; Vincent n’a rien de l’image que les Français s’en faisaient, qui l’imaginaient bardé de tuyaux, avec des machines. Il n’y a pas de machines, il y a juste une gastrostomie. Il respire spontanément, il a un corps qui fonctionne.

Ce qui s’est passé hier et qui a été interrompu ce matin, c’est au fond d’arrêter cette alimentation et cette hydratation, pour détraquer son corps, détraquer ses reins, pour aboutir à un arrêt cardiaque, voire à des lésions cérébrales si on le sédate de manière exagérée. Il n’était pas en fin de vie, il était lourdement dépendant, on l’a mis en fin de vie ; ce n’est quand-même pas ça le rôle des soins palliatifs ! Heureusement, aujourd’hui on a recommencé à alimenter et hydrater Vincent Lambert.

Aucun d’entre nous n’a envie d’être dans l’état de Vincent Lambert, mais pour avoir accompagné beaucoup de personnes lourdement handicapées, j’ai découvert avec stupeur – et avec joie ! – que bien des personnes porteuses de lourds handicaps ont trouvé des raisons de vivre dans les situations apparemment absurdes dans lesquelles elles vivent. Autrement dit, entre ce que je ressens aujourd’hui, en bonne santé, et ce que je ressentirais en mauvaise santé, il n’est pas certain que je sois capable de tout dire. Voilà pourquoi les directives anticipées, qui peuvent être écrites, méritent d’être révisées régulièrement dans une relation de confiance avec le soignant, avec ses proches, avec une personne de confiance, pour ne pas être pris au mot de choses qu’on aurait dites avant.
Bien des personnes en ont témoigné, par exemple Angèle Lieby (Une larme m’a sauvée) ; tout le monde pensait qu’elle ne ressentait rien, mais elle ressentait, elle entendait, et elle était heureuse qu’on ne prenne pas au mot des choses qu’elle aurait pu dire auparavant. Il y a une difficulté d’interprétation de choses qui n’ont pas été écrites, et de la situation actuelle.

Je suis favorable à ce qu’on respecte les personnes qui refusent un traitement ; mais il faut savoir quel type de traitement, et c’est très compliqué de le dire par avance. Par exemple, si j’ai une maladie évolutive qui aboutit à une forme d’étouffement, je peux refuser une trachéotomie dont je sais que j’aurai besoin, et par contre être sédaté pour ne pas souffrir. Mais c’est un rêve de penser qu’on peut protocoliser par avance toutes les possibilités qu’on aurait de mourir. Il faut au jour le jour réajuster les choses.

La seule façon de se sortir par le haut de ce conflit familial, c’est de privilégier celui qui est le protecteur naturel de la personne porteuse de ce lourd handicap, de cette immense dépendance. Ce que Rachel a été de manière héroïque, pendant longtemps, puis elle s’est découragée comme beaucoup se découragent. Là il y a un relais qui a été apporté par les parents. À un moment donné, celui qui est là, qui est prêt à accompagner, à aider, comment pourrait-on accepter qu’on lui arrache la vie de celui qu’il aime, et pour lequel il demande qu’il soit pris en charge par des établissements spécialisés, qui sont prêts à le prendre en charge, conformément à la loi ? Une circulaire de 2002 dit que ce genre de patients a besoin d’une mise en fauteuil, de kiné, de sorties, de ne pas être enfermé…
Sans doute est-ce le protecteur de proximité (qui dans certains cas peut être les parents, dans d’autres cas des amis ou des frères et sœurs, la personne de confiance si elle existe, ou l’épouse) [qu’il faut écouter]. Mais effectivement, quand il y a cette tension aujourd’hui apparemment inconciliable entre deux pôles, est-ce que ce n’est pas le primat de la vie fragile qui doit l’emporter, sur celui qui pousse à mettre en situation de fin de vie une personne qui n’est pas en fin de vie ?

Viviane Lambert est choquée par une étiquette spirituelle qu’elle ne revendique pas. Elle affirme qu’elle agit comme toute mère aurait agi. J’étais à Reims dimanche aux côtés d’un médecin spécialisé dans les états EVC-EPR, qui n’a pas la foi de Viviane Lambert, mais qui me disait combien elle était choquée du traitement infligé à ses yeux à Vincent Lambert depuis longtemps. Il faudrait dépasser cette étiquette [religieuse], pour respecter les personnes. On peut tous s’y reconnaître : si vous avez un enfant lourdement dépendant et hospitalisé, et que vous découvrez que dans votre dos, sans vous prévenir, au bout de 21 jours, il n’est plus alimenté, comment restaurer la confiance dans l’établissement ? Comment imaginer que Madame Lambert soit en confiance avec un lieu qui n’a cessé de revendiquer cet arrêt, alors même qu’il a été fait [à son insu]? Le Dr Kariger a eu le courage de dire qu’il avait eu tort, qu’il avait été maladroit, mais c’est mais quand même très lourd à porter ensuite pour les parents ; on ne peut pas demander aux parents de faire confiance à un établissement qui leur a fait endurer cela.

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