Incontestable, la FIV ? France Catholique

Tribune de Tugdual Derville parue dans France Catholique le 22 octobre 2010.

Un concert de louanges a accompagné l’attribution du prix Nobel de médecine au professeur Edwards, inventeur de la fécondation in vitro (FIV). Pourtant, les objections ne manquent pas…

Déja, en dissociant relation sexuelle et procréation, l’insémination artificielle appliquée à l’homme avait ouvert la voie, avec le don de sperme, à la dissociation délibérée entre paternité biologique et «  paternité sociale  ». De nouveaux secrets de famille étaient encouragés. Avec la FIV, les embryons ne sont plus conçus sous la protection du corps d’une mère, mais en laboratoire. On peut aussi utiliser des ovocytes d’une «  donneuse  » et même transférer à un couple des embryons conçus par autre couple. La FIV et la possibilité de congeler gamètes et embryons ont amplifié les bouleversements inaugurés par l’insémination et acté ou provoqué de nouvelles transgressions. Au total 10 objections peuvent être énoncées.

1/ L’instrumentalisation de la vie humaine

Les pionniers de la FIV ont commencé par concevoir des embryons humains de façon expérimentale, en utilisant leur propre semence. Pour que naissent Louise Brown en 1978 puis, en France, Amandine, en 1982, les procréateurs ont d’abord créé des embryons pour la recherche (ce qui est jusqu’à aujourd’hui interdit en France). Techniquement, il ne s’agissait que d’une transposition à l’homme des pratiques vétérinaires. On répondait au désir éperdu des couples, ainsi qu’à celui des chercheurs, de maîtriser le début de la vie. Mais c’était aussi une transgression éthique sans précédent : le procréateur s’érigeait en maître de la vie d’autrui. C’est d’ailleurs à partir de la FIV qu’est advenue une nouvelle forme d’expérimentation humaine : la recherche sur l’embryon, pratique qui conduit à sa destruction, est née de la surproduction embryonnaire liée à la FIV.

2/ La surproduction embryonnaire

En France, pour faire naître environ 14 500 enfants conçus par FIV chaque année, il faut concevoir 278 000 embryons, soit 19 embryons par naissance. Depuis 1978, on a conçu artificiellement dans le monde 80 millions d’embryons pour que naissent 4 millions de bébés. Si un embryon n’est rien (ce qui reste à démontrer scientifiquement), cette surproduction embryonnaire est peut-être négligeable. Mais que dire si l’embryon est quelqu’un, ce que la science tend de plus en plus à montrer ? Dès la conception est en effet inaugurée une vie humaine, unique, avec un patrimoine génétique unique qui restera le même jusqu’à la mort.

3/ Le tri des êtres humains

Dans tous les cas, le médecin «  procréateur  » évalue au microscope les embryons obtenus, et sa note scelle leur sort : destruction immédiate ou transfert dans l’utérus d’une femme, ou encore, notamment en France, congélation. Le «  diagnostic préimplantatoire  » est aussi apparu : il permet de concevoir in vitro des embryons puis d’écarter ceux qui sont porteurs d’une anomalie héréditaire, voire, désormais, d’une simple prédisposition à développer une maladie… Comment nier la composante eugénique toute-puissante de ces tris ? Et que dire du statut du «  bébé-médicament  » pour lequel il faut en moyenne 39 embryons pour une naissance ? Issu d’un tri embryonnaire, on le destine à «  sauver  » un frère ou une sœur déjà né. À terme, avec la médecine prédictive (analyse des risques génétiques) se profile le spectre du meilleur des mondes. Or, personne ne peut prétendre à un patrimoine génétique indemne de tout problème.

4/ L’occultation du temps

Figés dans le froid, les embryons congelés sont privés de leur développement naturel. On vient d’annoncer la naissance aux États-Unis d’un embryon conçu il y a vingt ans qui a fini par être donné à un couple. À l’âge de 20 ans, il aura 40 ans d’existence. Plus généralement, la congélation des embryons les rend vulnérables face aux demandes des chercheurs ou des couples. Des femmes dont le conjoint est décédé réclament l’implantation «  post-mortem  » des embryons que le couple avait fait congeler après une FIV. Doit-on faire naître un enfant des années après la mort de son père ? Voilà un dilemme éthique typique de la transgression que constitue la congélation. Car tout cela bouleverse les repères immuables qui garantissaient à tout être humain de s’inscrire dans le temps avec des repères clairs.

5/ L’éclatement de la parentalité

À partir du moment où l’on se permet de concevoir et manipuler l’embryon hors du corps de sa mère tout devient possible : erreurs et accidents de manipulation, imbroglios multiples… La filiation s’en trouve bouleversée. Des femmes largement ménopausées deviennent mères. Des hommes homosexuels obtiennent des bébés via la gestation pour autrui… Des enfants se retrouvent avec deux ou trois mères (génitrice, gestatrice, éducatrice) et plusieurs pères. La maternité éclatée devient source de nouveaux conflits : une mère porteuse résiste actuellement au couple commanditaire de son bébé : ce couple exige qu’elle avorte car le fœtus est trisomique.

6/ Le stockage d’êtres humains

Objets de multiples convoitises, 150 000 embryons vivants sont congelés en France. La loi de 2004 a autorisé, par dérogation, qu’on les livre à la recherche (ce qui les détruit). Pour les embryons «  ne faisant plus l’objet d’un projet parental  » les choix s’avèrent impossibles : les détruire, les donner à un autre couple, les livrer à la recherche ? Cette recherche sur l’embryon nécessite de les traiter comme du matériel de laboratoire… De façon moins encadrée que les animaux, car l’expérimentation animale est soumise à un contrôle plus strict (animaleries, formation). Il existe désormais des êtres humains destinés à servir le reste de l’humanité. Nouvel esclavage ?

7/ Les risques sanitaires

Les techniques de FIV ne sont pas sans conséquences sanitaires.
En forçant la nature, on a rendu certaines stérilités héréditaires : les enfants porteront des gènes déficients.
Les grossesses multiples artificiellement provoquées ont induit l’explosion de la grande prématurité, cause de multiples handicaps.
La prévalence de certains accidents génétiques a augmenté chez les enfants nés de FIV, et notamment d’ICSI (conception forcée à partir du choix d’un seul spermatozoïde). En cause, le mode de conception et les bains chimiques n’imitant qu’imparfaitement les conditions naturelles…
On commence seulement à parler des troubles psychologiques induits par certaines de ces techniques.
On déplore enfin de fréquents accidents graves concernant les femmes âgées qui deviennent mères au-delà de l’âge naturel.

8/ La marchandisation de la vie

L’annonce d’une première utilisation chez l’homme de cellules issues d’embryons vient de faire monter en bourse la côte d’un laboratoire privé. On a présenté à tort cet essai comme thérapeutique alors qu’il n’est qu’un test de tolérance.
Avec la FIV, tout est potentiellement à vendre ou à louer : embryons, gamètes, utérus. Les écarts de prix entre garçons et filles, ou entre «  géniteurs  » selon leur QI, leur aspect physique et la couleur de leur peau dénotent un marché sauvage dans de nombreux pays. Son libéralisme a des relents d’un racisme qui n’a rien à envier au temps de l’esclavage.
Des enfants sont vendus aux enchères aux plus offrants. L’homme est redevenu un produit commercial.
Et les femmes sont exploitées. Dans les pays pauvres, elles deviennent les «  gestatrices  » de couples des pays riches. Des étudiantes vendent leurs ovocytes pour payer leurs études, mettant en danger leur propre fertilité.

9/ Le détournement de fonds

Coûteuse, la FIV n’est qu’une médecine palliative, qui contourne l’obstacle de l’infertilité, sans la soigner.
De nombreux couples en sortent éprouvés (50% sans enfants). Les chercheurs risquent de se désintéresser des causes d’un problème sanitaire croissant…
Et pendant ce temps, les populations du Sud n’ont pas accès aux soins primaires qui permettraient d’éviter de nombreuses infertilités.

10/ La fuite en avant

Bébés-médicaments, clonage, maternité extracorporelle… Les dérives issues de la FIV peuvent s’enchaîner logiquement. Edwards continue de militer pour la liberté de manipuler les embryons. La Grande-Bretagne a déjà autorisé la création d’embryons hybrides, chimères homme-animal conçus avec du sperme humain et des ovocytes de bovins.
Le futur inventeur de «  l’utérus artificiel  », que les militants de l’abolition de la différence sexuelle appellent de leurs vœux, méritera-t-il le prix Nobel ?

Pourquoi, malgré ces objections, la fécondation in vitro semble-t-elle incontestable ?


1/ Tout se passe comme si la naissance des enfants conçus par FIV, du fait de la joie bien légitime de leurs parents, avait étouffé toute opposition.

La tendance à juger une cause selon le degré d’émotion qu’elle suscite est humaine. Elle est accentuée par l’évolution culturelle et l’univers médiatique qui privilégient le témoin face au maître. Or, dans ce contexte, la souffrance, le désir puis le bonheur des parents pèsent autrement plus que le destin des embryons. Sans visage, ni sensibilité, ni histoire, ni voix, ils ont la raison pour eux (la science dit leur humanité) mais cela ne suffit pas. On ne considère pas l’embryon comme un citoyen. Il n’a pas de poids politique. Personne n’est attaché à lui. Le rapport de force lui est défavorable. Contre lui sévit un totalitarisme de l’émotion face auquel il est difficile de s’élever sans paraître inhumain.

En toute logique, on a parfaitement le droit de récuser les modes de conception qui semblent contraires à la dignité humaine. Sans pour autant récuser l’existence des êtres humains qui en sont issus. Le temps passé doit être assumé, mais pas forcément cautionné. Ainsi, ce n’est pas parce que dans les générations précédentes, nos ancêtres ont pu commettre des crimes (violences conjugales, incestes…) sans lesquels nous n’existerions pas, que nous sommes obligés de les approuver. Le temps passé étant révolu, on peut parfaitement contester la FIV sans remettre en cause ceux qui lui doivent la vie.

2/ Dès lors, les coûts multiples de la fécondation in vitro sont occultés, comme si les évoquer était une faute de goût.

La FIV est, de l’avis général, un parcours du combattant pour les couples, et particulièrement pour les femmes : pénible hyperstimulation ovarienne, intervention d’une tierce personne dans l’intimité du couple et de la physiologie féminine, débats difficiles et parfois conflictuels quand se pose la question de passer aux étapes suivantes, avec notamment le recours au don de gamètes, impact dramatique des «  réductions embryonnaires  », mais aussi la question du devenir des embryons congelés… Et il ne faut pas oublier les échecs successifs au fil des tentatives. Pour 50% des couples, après «  des années de galère  », il n’y aura pas d’enfant, et la FIV aura retardé d’autant une éventuelle démarche d’adoption… Les couples en témoignent dans des livres et des forums sur Internet, mais ça ne fait pas le poids, médiatiquement, face aux prouesses et réussites. Tout se passe comme si l’enchaînement de tant de souffrance et de tant de bonheur étouffait la contestation.

De même les problèmes sanitaires induits par la FIV demeurent largement tabou, hors du cercle des praticiens qui en ont conscience : grande prématurité, prévalence de certains handicaps, troubles psychologiques… Pour ne pas stigmatiser les enfants (dont certains ignoreront leur mode de conception), on s’interdit de faire de véritables recherches sur l’impact psychologique de la conception en laboratoire ou de la congélation. Une forme de mauvaise conscience plane, qui conduit au déni des problèmes.
Enfin, le coût financier de la FIV, assumé par la collectivité jusqu’aux 43 ans des femmes concernées, pour 4 tentatives, devrait être mis en regard de ce qu’on pourrait faire de telles sommes, en particulier pour lutter contre les causes de l’infertilité. Quand il est question de faire naître à tout prix, on ne lésine pas : la vie n’a pas de prix. Et les vies conçues et détruites passent pour des dégâts collatéraux négligeables.


3/ Le débat s’est donc transféré sur les nouvelles transgressions, pas encore entrées dans les mœurs, ce qui cautionne implicitement celles qui ont cours.

Les premières mondiales défraient la chronique : clonage, naissance après 20 ans de congélation, grossesses provoquées chez des femmes du troisième âge, hybridation homme-animal, vente aux plus offrants d’un bébé via Internet, décongélation accidentelle ,etc. Ce qui est exceptionnel choque, mais ce qui est devenu courant est cautionné. Le débat n’est plus sur le principe de la FIV, mais sur ses limites, ou ses «  outrances  ». Or, c’est le principe même de la FIV qui comporte l’essentiel des transgressions à l’éthique biomédicale que nous sommes en droit de contester. Le fait qu’une transgression soit répandue – ou qu’elle soit légale – n’apporte en réalité aucune garantie de justice.

Lors de la naissance de Louise Brown, de nombreuses voix de scientifiques s’étaient élevées en dénonçant le fait que ce n’était «  pas de la médecine  ». Mais, progressivement, chaque transgression entre dans les mœurs. Une sorte d’ « effet de cliquet  » permet d’enchaîner les étapes : on est choqué d’une première qui étonne, on s’y habitue en disant «  pourquoi pas ?  », on se dit qu’elle est inéluctable, et quand elle s’est installée dans les mœurs, on la trouve incontestable.

C’est finalement des conséquences de la FIV que peut renaître une contestation audible : celle des enfants nés de donneurs anonymes, celle des couples que le processus a agressés, celle d’une société qui peut découvrir que l’acharnement procréatif conduit à l’absurde, entre le développement du handicap, le bouleversement de la filiation et le fantasme eugéniste du bébé parfait.

 

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